Il y a 130 ans : La Commune de Paris

Le 28 mai 1871, tombait, rue Ramponneau la dernière barricade érigée par les Communards. Une des pages les plus tragiques et glorieuses du mouvement ouvrier français finissait de s’écrire avec le sang des femmes, enfants et hommes du peuple de Paris. L’insurrection avait débuté le 18 mars mais les causes en sont plus anciennes. Si La Commune était « l’anti-thèse directe de l’Empire » comme l’écrivit Karl Marx, elle a également été le combat contre la république des nantis.

Article paru dans l’Egalité n°87

Le 2nd Empire de Napoléon III s’écroula dès la confirmation de sa défaite face à l’Allemagne. Désemparés, les milieux d’affaires et les hommes politiques parisiens ne savaient que faire, l’Empire ayant été pour eux une source d’enrichissement phénoménal. Mais la pression du peuple parisien fut la plus forte et la République fut proclamée le 4 septembre 1870. Les pires affairistes des régimes précédents (Thiers…) se placèrent à la tête du nouveau régime, le peuple de Paris n’étant pas assez organisé pour imposer ses propres dirigeants.

L’armée allemande continua son avancée et arriva aux portes de Paris. Un long siège commença. La population parisienne eut à subir une famine effroyable aggravée par l’extrême dureté de l’hiver 70-71.

Les parisiens refusèrent de capituler et s’enrôlèrent en masse dans la Garde Nationale. Organisée par arrondissement, celle-ci se démocratisa et se structura : élection des officiers (révocables), élections de délégués et création d’un Comité central de la Garde nationale qui en deviendra le véritable organe dirigeant.

Détailler ici les événements qui conduisirent à l’insurrection n’est guère possible mais le fil conducteur est le suivant : au fur et à mesure, Thiers et ses amis se révélèrent les bons serviteurs de la bourgeoisie, affamant Paris, acceptant une paix humiliante avec l’Allemagne, et prenant des mesures anti-sociales dès les premières semaines de gouvernement. Peu à peu, les parisiens voyaient se confirmer l’établissement d’un régime aussi anti-social que l’Empire. Comprenant cela, le peuple de Paris s’organisa peu à peu de manière autonome. Dans les faits la Commune s’installait.

Pour Thiers, l’objectif était de soumettre le Paris « rouge »

Ayant signé la paix, Thiers avait les mains libres pour écraser Paris. Des négociations démarrèrent avec l’Allemagne pour renforcer l’armée du gouvernement largement inférieure en nombre et en matériel à la Garde nationale.

Pour désarmer Paris, le 18 mars 1871, Thiers envoya une expédition nocturne pour saisir les canons de la Garde nationale pourtant payés par souscription des gardes nationaux. Cette ultime provocation déclencha la Commune. Les parisiens refusèrent de livrer les canons, et les troupes envoyées fraternisèrent avec eux, fusillant leur propre général.

Sans s’en rendre compte, les parisiens avaient pris le pouvoir : Thiers s’enfuyait, suivi en quelques jours par l’ensemble du gouvernement. Le Comité central de la GN assuma le pouvoir provisoire et organisa des élections municipales.

Dans des conditions extrêmement défavorables, isolés malgré des tentatives d’insurrection dans d’autres villes (Lyon, Rouen, Marseille…), les travailleurs de Paris bien que de statuts très divers, tentèrent d’établir un gouvernement ouvrier : la Commune peut réellement être considérée comme la première tentative des travailleurs pour s’affranchir de la bourgeoisie.

Marx, qui avait mis en garde les parisiens contre une insurrection prématurée, s’engagea néanmoins le plus possible aux cotés des Communards. La Commune « était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fut encore capable d’initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris ». De « simples ouvriers osèrent toucher au privilège gouvernemental des possédants », et « le vieux monde se tordit de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la république du travail, flottant sur l’Hôtel de ville ». Ces lignes écrites par Marx quelques jours après l’écrasement définitif de l’insurrection montrent l’importance des enjeux. L’œuvre de La Commune montre le caractère profondément émancipateur et novateur de cette révolution. Notons également que les femmes, à qui la Commune donna enfin un statut social égal à celui des hommes, y occupèrent une place sans précédent historique.

Mais la faible cohérence de La Commune et son isolement, permirent au gouvernement réfugié à Versailles de reprendre l’initiative. Le 21 mai, commença l’offensive définitive sur Paris, la « semaine sanglante ». Méthodiquement, les armées versaillaises réinvestirent Paris, massacrant tous ceux femmes, enfants, hommes qui étaient trouvés les armes à la main : plus de 35 000 personnes furent tuées. La bourgeoisie eut une haine à la hauteur de sa frayeur. Cette peur se transforma en triomphalisme pour les républicains « modérés » : débarrassés de leur aile gauche, ils devinrent « respectables » aux yeux de la bourgeoisie qui finalement préféra la République à une incertaine restauration de la monarchie. Piètre consolation pour les combattants héroïques de Paris.

L’œuvre de La Commune

Les mesures mises en place par la Commune correspondaient à un véritable programme ouvrier et révolutionnaire La première mesure a ainsi été la suppression du service militaire et de la police et l’armement du peuple de Paris. Chaque homme valide devait effectuer un temps de service dans la garde nationale qui améliora encore ses structures démocratiques. De même, les fonctionnaires étaient élus et devaient recevoir un salaire d’ouvrier.

La Commune a également instauré la séparation de l’Etat et de l’Eglise, renvoyant cette dernière dans la sphère de la conscience individuelle et limitant d’emblée son pouvoir oppressif.

Une autre avancée de cette révolution a été l’union réalisée entre les ouvriers et les artisans. Par exemple, les créances, qui maintenaient les artisans dans la misère, ont été supprimées.

La Commune s’est attachée par un décret à recenser et réquisitionner tous les ateliers abandonnés par leur propriétaires. Des plans étaient élaborés pour les faire gérer par les ouvriers y travaillant, ceci dans la perspective d’une fédération des associations de coopératives. Ainsi, c’était le contrôle et la gestion des moyens de production par les travailleurs qui étaient mis à l’ordre du jour.

La Commune a établi des mesures sociales qui par la suite n’ont jamais été reprises : adoption par la société des orphelins avec pension jusqu’à l’âge de 18 ans, élections d’étrangers à sa tête…

La Commune, bien plus que le « simple » mythe romantique de la révolte désespérée à quoi on veut la réduire, se caractérise avant tout par une véritable série de mesures correspondant à un programme révolutionnaire au service des travailleurs.

Mais ces mesures côtoient en même temps des limites et des lacunes qui ont été fatales pour ce mouvement révolutionnaire. Par exemple, la Commune s’est contentée de gérer la Banque de France au lieu de la nationaliser, se privant ainsi de moyens financiers conséquents.

La Commune a ainsi gardé en place des éléments de l’Etat bourgeois tout en tentant de mettre en place un programme révolutionnaire. Une des leçons qu’a tiré Marx de l’action concrète des Communards fut que la classe ouvrière devait mettre à bas les structures de l’Etat bourgeois et s’organiser en tant que classe dirigeante pour assurer la transition vers une société sans Etat. Ces errements, ces hésitations sont notamment dues à une hétérogénéité politique de la Commune. Le conseil général comportait des républicains modérés, des néo-Jacobins, des Blanquistes (pour une société communiste mais sur la base d’une prise du pouvoir par un noyau révolutionnaire auquel les masses adhéreraient par la suite) et des membres de l’AIT (Association internationale des travailleurs avec une majorité de proudhoniens et une minorité de marxistes).

Seuls les marxistes luttaient pour la construction d’une fédération nationale des communes, alors que les proudhoniens la récusaient et refusaient ainsi toute volonté d’extension au nom de l’autonomie des communes. C’est ce constat qu’effectua Trotsky dans son article « Les leçons de la Commune » extrait du recueil Bolchévisme contre stalinisme : « Sous forme de « lutte contre le centralisme despotique » et contre la discipline « étouffante « se livre une lutte pour la propre conservation des divers groupes et sous-groupes de la classe ouvrière, pour leurs petits intérêts, avec leurs petits leaders d’arrondissement et leurs oracles locaux ». Et en effet les événements de la Commune ont démontré qu’il fallait au contraire un appareil centralisé ayant une vision claire et complète des tâches à accomplir afin d’assurer la victoire de la classe ouvrière. C’est ce qui manqua cruellement à cette révolution. Faute de parti révolutionnaire au service des travailleurs, la tête du mouvement a été confiée aux « bavards » et non à une direction prolétarienne seule à même d’œuvrer dans les intérêts de la classe ouvrière : on discuta 2 jours durant pour savoir s’il fallait détruire ou non la maison de Thiers !

Et c’est sans doute la principale leçon à garder de la Commune. L’existence d’un parti révolutionnaire apparaît clairement comme une nécessité à la victoire du prolétariat : « Le parti ne crée pas la révolution à son gré, il ne choisit pas à sa guise le moment pour s’emparer du pouvoir, mais il intervient activement dans les événements, pénètre à chaque instant l’état d’esprit des masses révolutionnaires et évalue la force de résistance de l’ennemi, et détermine ainsi le moment le plus favorable à l’action décisive. (…) La corrélation d’une action soigneusement préparée et du mouvement de masse est la tâche politico-stratégique de la prise du pouvoir. » (Trotsky).

Cependant, malgré son échec et ses limites, la révolution de La Commune a été la démonstration éclatante de la capacité de la classe ouvrière à prendre le pouvoir et à devenir la classe dirigeante qui instaurera le socialisme vers une société communiste sans classe.

Par Geneviève Favre et Alex Rouillard

*Les citations de Marx sont tirées de “La guerre civile en France”, 1871