Les valeurs du travail

Alors comme ça, Raffarin veut nous remettre au travail ? C’est curieux, parce qu’en même temps, ses copains les patrons du MEDEF licencient à tour de bras ! Pourquoi Raffarin, suivi par ses ministres et députés, insiste-t-il autant dans ses interventions publiques sur un nécessaire retour à de supposées valeurs universelles du travail qui seraient perverties par le goût des loisirs et de la paresse qu’aurait suscité la loi sur les 35 heures ? Il est sûr que pour les travailleurs et le patronat, le travail n’a pas la même valeur.

Article paru dans l’Egalité n°104

Des valeurs réactionnaires

Le discours moralisant de Raffarin est d’abord significatif de l’idéologie réactionnaire de ce gouvernement. Pour lui, le travail serait un rempart face aux mauvais penchants des travailleurs pour l’oisiveté, qui mettraient en danger l’économie du pays. Ses litanies sur le travail et la famille puent le pétainisme. Pour Ollier :  » à gauche, le laxisme et l’assistanat, à droite, le mérite et l’effort « . On peut citer un plus lointain prédécesseur de Raffarin qui disait :  » Plus mes peuples travailleront, moins il y aura de vices. Je serais disposé à ordonner que le dimanche, passé l’heure des offices, les boutiques fussent ouvertes et les ouvriers rendus à leur travail « . Ce projet de Napoléon est en passe d’être mis en application avec l’ouverture de plus en plus fréquente des commerces le dimanche et l’annualisation du temps de travail permettant au patronat de faire travailler leurs salariés n’importe quand sans compensation. Mais ces idées sont aussi celles de bien des dirigeants de l’ex-gauche plurielle : on se rappelle quand Jospin, premier ministre, refusait le relèvement des minima sociaux demandé par les chômeurs, au même motif qu’ils atteindraient un niveau équivalent au SMIC, décourageant les gens de travailler, ou plus certainement dans son esprit, encourageant les travailleurs à la paresse.

Les critiques du gouvernement et du patronat sur la société qui serait devenue une société de loisirs sont parfaitement hypocrites, puisque l’industrie des loisirs est justement devenue une énorme source de profits. Le patronat est même prêt à faire exécuter des tâches parfaitement inutiles pour la société, du moment qu’elles peuvent lui rapporter.

Pour le patronat, le travail, c’est le profit

Chaque heure pendant laquelle un travailleur produit représente un profit pour le patronat, profit qu’il veut le plus important possible en réduisant les salaires et en augmentant la productivité. Pendant ce temps, le patron, lui, ne produit rien, tout en clamant son amour du travail.

Alors que Raffarin et ses ministres accusaient la loi Aubry sur les 35 heures de pénaliser l’économie, le patronat restait très silencieux sur ce sujet. Et pour cause : les patrons apprécient la flexibilité introduite par la loi Aubry, avec en bonus le non-paiement des heures supplémentaires, incluses dans le temps de travail par l’annualisation. Cette loi s’est surtout traduite par d’énormes gains de productivité : selon le Ministère de l’Emploi, la productivité horaire a augmenté de 4% avec les 35h, profits qui vont tout entier dans la poche du patronat, puisqu’ils ne s’accompagnent d’aucune augmentation de salaire. Les 35h n’ont pu être un progrès que pour peu de salariés (les plus privilégiés, les cadres); au contraire, pour les emplois les moins payés, qui sont aussi souvent les plus pénibles, elles ont entraîné une diminution des ressources et une dégradation des conditions de travail. Le projet de supprimer un jour férié, préparé par cette campagne sur le retour au travail, est encore un cadeau fait au patronat, celui-ci pouvant faire une journée de profits supplémentaire.

Les droits du travail plus que le droit au travail

Pour l’ouvrier, ou le travailleur en général, il peut exister une fierté de son travail, si celui-ci est utile ou valorisant. Mais cet argument est surtout utilisé par le patron pour faire davantage tourner son outil de production. On a vu ainsi, avant chaque charrette de licenciements, les patrons exiger des gains de productivité et des gels ou diminutions de salaires, au prétexte de « sauver l’entreprise », avant de virer les salariés.

A l’inverse, la situation de chômeur, de travailleur sans emploi, est considérée comme déprimante, dévalorisante. Mais la situation de travailleur précaire, ou dans des conditions de travail pénibles, voire intolérables, ne l’est-elle pas au moins autant ? Eux ne risquent pas d’être saisis de « cette étrange folie », l’amour de leur travail. S’ils travaillent, c’est par nécessité !

Comment vouloir rallonger le temps de travail, alors que le chômage est massif et que le patronat a largement recours aux temps partiels, en particulier pour les femmes ? Pour un travailleur du début du 20e siècle, le travail représentait 40% du temps de sa vie. Aujourd’hui, ce n’est plus que 9%. Pourtant, la journée de travail n’a pas diminué en proportion. Le patronat préfère qu’une partie des travailleurs travaille davantage et laisser l’autre partie au chômage. Keynes estimait dans les années 30 qu’au 21e siècle, on ne travaillerait plus que 3 heures par jour en moyenne. C’est un objectif qui pourrait être atteint en rapportant l’ensemble des besoins de production à la population active totale.

Cet objectif est irréalisable dans cette société où  » restaurer les valeurs positives du travail  » (cf. la  » Fête de l’Entreprise « ), c’est en fait se soumettre au système du profit. Seule une société socialiste pourrait permettre à tous de trouver un sens à son travail, à la fois par son utilité, en partageant les tâches pénibles, en permettant à chacun d’exercer selon ses goûts et ses compétences.

Par Pascal Grimbert